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Le masque : un objet devenu incontournable ?

Dernière mise à jour : 18 juin 2021


Le masque est un objet qui permet de couvrir totalement ou partiellement le visage.


Sa signification et son utilisation diffère selon les âges et les traditions.

A l’époque des pharaons, le masque était destiné à recouvrir la tête du défunt.

Ensuite, vint la période de la Grèce Antique, où les masques étaient principalement portés dans les scènes de théâtre afin de caractériser des rôles. Puis au Moyen-Age, au Xème siècle, les premiers carnavals de Venise apparaissent dans le but de créer une cohésion civique et politique à travers le port d’un déguisement et d’un masque, tous deux très détaillés.

En Italie, au XVIème la Commedia Dell’ Arte fait ses premiers pas et propose des pièces de théâtre populaire, interprétées par des troupes d’acteurs masqués (comme par exemple le personnage d’Arlequin).

Un siècle plus tard, l’Europe est touchée par l’un des fléaux les plus mortels de l’Histoire : la peste noire. Les médecins de cette ère, ont adopté une tenue spécifique pour se préserver des miasmes toxiques, dont le fameux masque en forme de bec qui contenait un mélange de substances aromatiques.

Lors de la Première Guerre Mondiale, l’Homme créa une nouvelle arme chimique : le gaz « moutarde ». Les armées ont donc procédé à l’instauration des premiers masques à gaz pour protéger les soldats et les populations.

A la fin XIXème siècle, émergea le port du masque en salle d’opération avec l’intention de réduire les risques d’infection et de transmission de maladies.

En 2020, le masque a connu une explosion en notoriété à cause de la crise sanitaire provoquée par la Covid-19. Le grand public a finalement appris à se servir d’un masque puisque jusqu’à maintenant, celui-ci n’était employé que dans son utilisation primaire, à savoir dans le domaine médical. Le masque s’est inséré dans la vie des gens en seulement quelques semaines. Jamais un objet ne s’était ancré dans le quotidien des gens avec une telle vitesse.


Même si les masques ont tout d’abord attisé la convoitise, ont été volés, perdus, ou encore symbolisé l’héroïsme des soignants dans la lutte contre la maladie, ils se sont rapidement imposés comme des éléments indispensables dans l’identité des personnes.


L’Histoire nous montre à plusieurs reprises que le masque peut être utilisé de diverses façons (la protection avec le secteur médical, la symbolique avec les divers mouvements contestataires comme Anonymous, etc.) et que sa signification est également en constante évolution. On peut donc se demander quels sont les effets suscités par le port du masque aujourd’hui. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’est-ce que cela engendre ?


Avec l’épidémie du coronavirus et l’instauration des gestes barrières impliquant le port du masque obligatoire, il est possible que cet accessoire agisse comme une difficulté supplémentaire à l’élaboration de liens sociaux. En effet, le fait de porter un masque dissimule une grande partie de notre visage, outil fondamental dans la communication avec autrui. D’ailleurs, P-J. Laurent a écrit que « Le visage est un regard et un langage ». Parler, respirer, assister à un cours, faire cours, sont des choses plus compliquées à accomplir avec un masque. Marion Zilio parle de « familiarisation » (2020), c’est-à-dire que l’individu doit s’habituer à ressentir son environnement en portant un masque. Certains auteurs iront même jusqu’à écrire que le masque peut être comparé à un organe artificiel (Marion Zilio). On assiste à une modification des rites (rite de travail, de courses, de salutation etc.) que provoque le port du masque puisqu’il redéfinit à lui-seul les espaces (distanciation sociale) et les manières de procéder. On parle aussi d’hybride au sens de Latour, c’est-à-dire que les objets n’appartiennent plus uniquement aux secteurs techniques et industriels mais également aux secteurs sociaux, économiques, culturels et politiques. Ces hybrides, sont considérés comme des actants mi- choses et mi-humains, qui remettent en cause les choix et l’identité de son créateur.


Selon les statistiques établies en 1967 par A. Mehrabian, professeur émérite de psychologie à l’Université de Californie, la communication entre deux personnes serait composée de 55% de communication non verbale. La position du corps, le contact visuel, les mouvements et la motivation, le timbre et le volume de la voix, sans oublier les expressions du visage, sont les principaux ingrédients de la recette d’une communication non verbale. Les expressions du visage sont extrêmement importantes dans la communication. En effet, il existe aujourd’hui une science appelée morphopsychologie qui consiste à lire chaque expression sur le visage d’une personne pour connaître ses émotions. Les résultats vont au-delà de la tristesse, la surprise ou la joie. De ce point de vue, le masque apparaît comme un obstacle à la création de dialogues sociaux. Cependant un raisonnement alternatif peut être appliqué, celui de la solidarité. Effectivement, le fait de porter un masque pour protéger les autres, relève de la responsabilité de chacun et contribue, dans un sens, au rapprochement social avec un but commun : vaincre le virus. Il existe néanmoins un contre-argument à ce propos. Comment savoir si les gens portent un masque avec la volonté de protéger autrui, ou de se protéger soi-même ? On constate donc un affrontement entre des valeurs collectives et des valeurs individuelles. Grâce à la pensée économique, on peut appliquer un calcul d’utilité pour savoir s’il est optimal ou non de porter un masque, en confrontant le risque d’être infecté et le coût perçu du port du masque. Ce cas illustre parfaitement le dilemme du prisonnier (1950) énoncé par Albert W.Tucker dans le domaine de la théorie des jeux.


Remy (2020) analyse la diffusion des masques en reprenant les mondes de Boltanski et Thevenot. En effet, le monde des masques est aujourd’hui très diversifié, et divers secteurs se sont démarqués comme le monde industriel avec cette course contre le temps pour la production de masques lors des premiers mois de lutte contre la COVID-19. Le monde domestique s’est aussi mis en avant, avec la fabrication de masques « fait maison ». Cette situation a aussi permis aux marques de jouer un rôle essentiel dans l’imaginaire et l’identité des gens à travers le port du masque. Ainsi le monde marchand a transformé cet objet, aux premiers abords très simplistes, en phénomène de mode qui permet d’exprimer ses valeurs, ses styles de vie, ses statuts et ses appartenances. C’est ce que Dominique Desjeux appelle la transsubstantiation (2004).


Aujourd’hui, le masque montre l’identité et la personnalité de son détenteur. Les marques ont commercialisé tellement de masques que l’on en trouvera toujours un qui s’assortira à notre style vestimentaire. Et dans notre monde, vous savez très bien comment l’apparence peut être essentielle voire primordiale. Et pourtant La Rochefoucauld affirme que : « nous gagnerions plus de nous laisser tels que nous sommes, plutôt que d’essayer de paraître ce que nous ne sommes pas ».

Le masque s’est imposé comme accessoire central de notre quotidien, et les marques ont saisi cette opportunité pour transformer ce produit basique en produit personnalisable à souhait dans une logique purement marketing. Toutefois, sa signification ne s’arrête pas là et c’est ce que met en exergue Marion Zilio en disant que le masque se comporte comme un « médiateur entre le monde des vivants et du visible, et celui des morts et de l’invisible ». C’est-à-dire que le simple fait de porter un masque rend la menace du virus visible aux yeux de tous.


Cela nous amène à réfléchir sur l’avenir des masques. Lorsque la pandémie sera vaincue, les masques disparaitront-ils avec elle, ou resteront-ils alors gravés dans nos habitudes ?

Article rédigé par Alexandre RAMIS et Pierrick VEZZOLI


 

Si vous souhaitez approfondir ce sujet et les notions qui y sont liées, vous pourrez consulter ces articles, qui ont servi de références pour cet article :


Cochoy, F., 2020. L’envers du masque. Esprit Octobre, 24–27. https://www-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/revue-esprit-2020-10-page-24.htm


Desjeux, D., 2006. Article sur la transsubstantiation publicitaire et les éponges, interview de D. Desjeux https://consommations-et-societes.fr/2006-05-d-desjeux-article-sur-la-transubstantiation-publicitaire-et-les-eponges-interview-de-d-desjeux/


Eber. N., 2006. Le dilemme du prisonnier et ses variantes. Dilemme du prisonnier, 9-37. https://www.cairn.info/le-dilemme-du-prisonnier--9782707148834-page-9.htm


Edant, J., 2020. Dans les rues de Limoges, le masque devient un accessoire de mode.


Remy, E., 2020. Démasquer le masque. Carnets de la Consommation, N°4 http://carnetsdeconso.com/papier/demasquer-le-masque/


War Heritage Institute, 2020. Le masque à travers l'histoire.






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